REVISER L\'HISTOIRE-GEOGRAPHIE ET L\'ECJS.

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REVOLUTIONS.


Egypte: la révolution de la place Tahrir.

 


Le 25 janvier 2011, dans le sillage de la révolution de Jasmin, en Tunisie, les égyptiens sortent dans les rues pour manifester leur mécontentement envers le pouvoir en place. Après 17 jours de manifestations intenses, le 11 février 2011, Hosni Moubarak, après 30 ans de pouvoir, démissionne, ouvrant une nouvelle ère politique pour l'Egypte.

Les causes de cette révolution sont multiples, nous allons les analyser en détail.

I.Les mutations de la société égyptienne.

1°)  Une démographie et une urbanisation galopante.

L'Egypte a quasiment doublé sa population en 30 ans, sous l'ère Moubarak, passant de 44 millions au début des années 80, à 83 millions d'habitants en 2012. La population égyptienne est désormais très jeune, puisque l'âge médian se situe à 24 ans.

A cette croissance démographique se conjugue un exode rural qui a alimenté la croissance urbaine. Le Caire, la capitale, est passé de 7,8 millions à 16,5 millions d'habitants de 1980 à 2012, un doublement de sa population en 30 ans.

Beaucoup d'égyptiens pauvres se concentrent dans la périphérie des grandes villes, dans les "ashwayet", bidonvilles qui caractérisent beaucoup de villes des pays en voie de développement.

 

2°) Une économie fragilisée par la libéralisation.

L'explosion démographique obligea l'économie égyptienne à avoir une croissance supérieure à 6 % par an, pour intégrer les nouveaux venus sur le marché du travail. La politique de libéralisation de l'économie, initiée par le fils du président, Gamal Moubarak, a entraîné des tensions sociales et des grèves à répétition, depuis 2006, notamment dans la ville ouvrière de Mahalla el-Koubra, qui connaît une agitation endémique. Cette cité qui concentre 75 000 ouvriers, uniquement dans l'industrie textile a subi de plein fouet la politique de privatisation.

40 % des égyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et 47 % des 20 à 24 ans sont au chômage, selon le CAPMAS, l'organisme central des statistiques.

 

3°) Les émeutes du pain.

 

En 2007, le renchérissement des cours mondiaux des matières premières, notamment des céréales, a multiplié par 3 le prix de la farine, produit de base de l'alimentation égyptienne. Si le gouvernement, depuis Nasser, subventionne des tickets alimentaires pour les pauvres, véritable amortisseur social,  le blé est venu à manquer, début 2008, entraînant des "émeutes du pain" qui ont rappelé celle de 1977.

 

4°) Le discrédit du PND et de la famille Moubarak.

 

Parti unique, le Parti National-Démocrate, avec plus de 2 millions de militants et la colonne vertébrale du régime égyptien. Dès 2003, après le malaise du raïs, son fils, Gamal, est promu dans la hiérarchie du Parti. Gamal Moubarak est partisan d'une libéralisation économique et à la sympathie de tous les occidentaux. Mais la privatisation de l'économie égyptienne va surtout profiter aux proches du pouvoir, entraînant un discrédit grandissant du régime dans la population. En pleine révolution, en février 2011, le journal anglais The Guardian, évalua la fortune du clan Moubarak à 70 milliards de $ !

 

 

5°) Kefaya et le mouvement du 6 avril.

Dès juillet 2004, une opposition non-religieuse, appelée Kefaya, se créée, en réunissant des militants laïques, des étudiants, des ouvriers et même des nassériens pour stigmatiser le népotisme du régime Moubarak. Pour la première fois, le régime est ouvertement mis en cause.

Dans le sillage des grèves à Mahalla el-Koubra, deux internautes, Ahmed Maher, un ingénieur de 27 ans et Israa Abdel Fatah, cadre en ressources humaines, cyberopposants au régime de Moubarak qui avaient créé, le 6 avril 2008, une page Facebook de soutien aux grévistes de Mahalla.

 

6°) Les Frères Musulmans, meilleurs ennemis du régime.

 

Interdite depuis 1954, la confrérie des Frères Musulmans a connu un partenariat avec le régime égyptien depuis la présidence de Sadate. Le raïs acceptait le rôle des Frères dans le domaine social tout en leur interdisant de s'occuper de politique.

Investissant la Gamiya Charia, association de bienfaisance islamiste qui contrôle 6000 mosquées et dispose de 450 filiales, les Frères ont été les partenaires tacites du régime égyptien et n'ont d'ailleurs pas donné de mots d'ordre pour manifester, au début de la révolution.

Malgré tout il y a, au sein de la confrérie, une coupure générationnelle vieux/jeunes à l'image d'Essam el-Erian, un internaute qui incarne la version moderne et libérale de Frères Musulmans.

De même, Abou-Ela Madi, un membre de la confrérie créa, en 1996, Al Wasat, un parti d'inspiration islamiste mais libéral, qui ne fut jamais reconnu par le pouvoir, sauf après le départ de Moubarak.

 

7°) Le terrorisme islamiste.

 

Si les Frères Musulmans s'entendirent plutôt bien, avec le pouvoir, après Nasser, il n'en fut pas de même pour des mouvements islamistes radicaux comme le Jihad islamique ou le Gama al-Islamiya. Le premier eut dans ses cadres, un certain Ayman al-Zawahiri, qui fonda Al-Qaida avec Ben Laden et le second, fut guidé par le cheikh aveugle, Omar Abdul Rahman, commanditaire du premier attentat contre le World Trade Center, à New-York, en 1993.

Depuis l'assassinat du président égyptien Anouar-El-Sadate, en 1981, ces deux mouvements vont se rendre coupables d'attentats sanglants, comme le 8 octobre 2004, où 3 voitures piégés avaient tué une centaine de personnes dans le Sinaï.

Ce terrorisme des islamistes radicaux va entraîner des contre-mesures policières qui vont frapper aveuglément, discréditant encore un peu plus le régime.

 

II. Une société jeune, urbaine, en mal de liberté d'expression.

1°) Le développement d'internet en Egypte.

 

L'Egypte a su amorcer très vite son entrée dans l'ère des nouvelles technologies de l'information, une prouesse à mettre au crédit d'Ahmed Nazif, ancien ministre des Télécoms de Moubarak, avant de devenir Premier Ministre en 2004, remercié par le raïs au 3eme jour de la révolution. En 2009, l'Egypte avait près de 20 % d'internautes réguliers selon l'Union Internationale des Télécommunications.

 

2°) Internet, vecteur d'une nouvelle liberté d'expression.

 

# Alaa Abdel Fatah, le pionnier du net.

 

A la fin des années 90, Alaa.Abdel.Fatah crée un site, manalaa.net, qui permet aux internautes égyptiens de surfer sur la toile. Devant le succès de son site, il sera même récompensé, en 2005, par Reporters sans frontières. Cette même année, son site se transforma en plate-forme d'opposition au régime, ce qui lui valut de la prison ferme, en 2006.

 

# Wael Abbas et la dénonciation de la torture.

Cet internaute fut le premier à dénoncer la torture en mettant en ligne des vidéos de torture frappant Emad el-Kébir, un chauffeur de bus. Dénonçant régulièrement les abus de la police, il est régulièrement harcelé par le pouvoir et recevra, en 2008, le prix du courage par Human Rights Watch.

 

# Le mouvement du 6 avril 2008.

C'est un mouvement, comme nous l'avons vu, qui a été créé sur Facebook, le 6 avril 2008, par deux égyptiens et qui a connu un succès grandissant sur la toile, fédérant la cyberopposition au régime de Moubarak.

 

# Wael Gonhim et l'assassinat de Khaled Saïd.

 

Le 6 juin 2010, un blogueur oppositionnel, Khaled Saïd, est assassiné par la sécurité d'état égyptienne. Un informaticien, Wael Gonhim, va alors créer une page Facebook: Nous sommes tous des Khaled Saïd,  en montrant le visage défiguré du jeune homme. Cette page va connaître un succès phénoménal et verra 300 000 inscrits fin 2010. Le 28 janvier 2011, alors que les manifestations, place Tahrir, ont commencé il y a 3 jours, Wael Gonhim est arrêté.

 

III.La révolution égyptienne.

 

1°) Crise politique et sociale.

 

Le discrédit du régime, le développement d'une opposition, notamment sur internet, les grèves des ouvriers, face à la privatisation de l'économie égyptienne, ont exacerbé le ressentiment envers le régime. Les élections truquées de novembre 2010, avec des bourrages d'urnes filmés par des téléphones portables et mis en ligne, la dénonciation, sur la toile, des tortures de la police égyptienne, ont réuni une jeunesse en mal de libertés d'expression et un petit peuple frappé de plein fouet par la libéralisation de l'économie et par l'inflation.

L'exemple de la révolution de Jasmin, en Tunisie, qui avait vu la chute de Ben Ali, quelques semaines avant, a été certainement une des étincelles qui a mis le feu au poudre.

 

2°) La manifestation du 25 janvier 2011.

 

Crée en avril 2008 pour soutenir un mouvement de grève, le mouvement du 6 avril, lança un appel à la grève générale, sur Facebook, pour le 25 janvier 2011. Avec eux, toute une opposition disparate, du mouvement Kefaya aux jeunes Frères Musulmans. Malgré les menaces du ministre de l'Intérieur, Habib el-Hadly, la manifestation fut un grand succès populaire, du jamais vu 2003.

 

3°) 28 janvier, "pot de départ pour Hosni Moubarak".

 

Après deux jours de manifestations, qui a aussi vu le retour de Mohammed el-Baradei, une page Facebook pour le "pot de départ d'Hosni Moubarak", reçoit des dizaines de milliers de "like", et le pays va s'embraser. A minuit, ce 28 janvier, Hosni Moubarak annonce la démission du gouvernement.

Les jours suivants, les commissariats et les locaux du PND sont pillés.

 

4°) 7 février, les pleurs de Wael Gonhim.

 

L'opposant Wael Gonhim est libéré par le pouvoir et passe à la TV égyptienne (Dream TV), le soir, où ses pleurs vont émouvoir le pays entier. Le lendemain, c'est un raz-de-marée populaire et anti-Moubarak qui se déploie. Le 10 février, l'armée encercle la place Tahrir, et le général el-Roweini déclara que les demandes du peuples seront satisfaites.

 

5°) Le 11 février, la démission d'Hosni Moubarak.

 

Le 11 février 2011, Hosni Moubarak démissionna de toutes ses fonctions.


23/09/2013
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Russie: la révolution de février 1917.

Plan Synthétique:

 

I. Un tsar discrédité.

 

a°) Un tsar influencé par sa femme.

 

Nicolas II, était un tsar soumis à l'influence de sa femme, l'impératrice Alexandra. Malgré la révolution avortée de décembre 1905, il refusait une évolution libérale du régime, que voulait la bourgeoisie russe. La naissance d'un fils hémophile, jeta l'impératrice dans les bras d'un charlatan, Raspoutine, censé protéger le tsarevitch et discrédita encore plus l'institution impériale.

b°) Le désastre de la guerre.

La Russie n'avait pas les moyens d'une guerre contre l'Autriche-Hongrie et l'Allemagne. Censé rallier tous les russes autour du tsar, les défaites de l'armée russe contre les allemands, notamment à Tannenberg, en 1914, accéléra la défiance des nobles et des militaires envers la stratégie de Nicolas II.

 

II. La révolution de février.

 

a°) D'une révolte pour le pain à la révolution.

 

Le 23 février, des ménagères envahirent le centre de Saint-Petersbourg, manifestant pour le droit des femmes dans le cadre de la Journée internationale de la femme mais aussi contre la pénurie de pain. Cette manifestation plutôt bon enfant était vierge de tout slogan politique. Devant la passivité des forces de l'ordre, les ouvriers de la capitale russe rejoignirent le cortège des mécontents, et le lendemain, des pillages de magasins commencèrent. Le 25 février, les partis révolutionnaires, absents, les deux premiers jours, prennent le train en marchent, et des slogans demandant un changement de régime apparaissent. C'est l'ordre de tirer sur la foule qui va faire basculer la situation. Certains régiments refusèrent de tirer et se rallièrent aux insurgés.

b°) La noblesse et la bourgeoisie lâchent le tsar.

 

Le chef d'état-major, le général Alexeiev, était persuadé que Nicolas II était la cause des défaites militaires et qu'il fallait changer de tsar pour renouer avec la victoire.

La bourgeoisie incarnée par Milioukov, voulait une évolution libérale du régime tsariste, ce que refusait le monarque.

Le 2 mars 1917, sous la pression de deux envoyés de la Douma, mais surtout des militaires, Nicolas II abdiqua. Le grand-duc Michel refusa la couronne, c'était la fin de la dynastie des Romanov.

 

Plan détaillé :

 

1°) Un tsar  discrédité.

 

a°) Les défaites militaires et la défiance des généraux.

 

L'armée et l'Etat russes n'étaient pas formatés pour soutenir une guerre contre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Empire Ottoman. Dès la fin août 1914, à Tannenberg, les armées russes de Samsonov subissaient une humiliante défaite de la part des allemands de Von Hindenburg.

L'année 1915, ne fut qu'une longue retraite pour l'armée russe, devant les austro-allemands, obligée de laisser la Pologne à ses ennemis. Malgré la réussite des offensives Broussilov, en 1916, la Russie, à la veille de la Révolution de Février, se trouve dans une situation militaire très mauvaise.

Ses défaites ont miné le prestige du tsar, auprès de la plupart des généraux russes, qui voient dans Nicolas II un monarque faible,


 (Source: wikipedia)

dominé par sa femme, l'impératrice Alexandra, incapable de proposer un renouveau politique pour fédérer les énergies contre l'ennemi allemand ! Lorsque l'insurrection commencera à Petrograd, en février, les généraux lâcheront ce tsar dont ils ne veulent plus.

 

b°) La bourgeoisie contre Nicolas II, l'autocrate.

 

Nicolas II avait toujours refusé une évolution libérale de son régime, à l'anglaise, vers une monarchie parlementaire, malgré les pressions de la bourgeoisie russe et de son entourage familial. Malgré sa réticence à une libéralisation du régime, le tsar, après les événements de janvier 1905, et le funeste "Dimanche Rouge", avait été obligé de lâcher du lest, et avait signé un Manifeste, en octobre 1905, pour une libéralisation politique. Le Parti KD, des constitutionnels-démocrates, emmenés par l'historien Milioukov obtint vite 100 000 adhérents, dont 60 % de nobles et fut rejoint par le Prince Lvov. On retrouvera les deux hommes, douze ans plus tard, lors de la révolution de Février 1917.

Le Manifeste d'Octobre prévoyait des élections pour une assemblée consultative, ou Douma, qui fut élu au Printemps 1906. Mais dès le début, les deux légitimités vont se heurter, et Stolypine, le nouveau premier ministre du Tsar, va faire dissoudre la Douma, générant un antagonisme entre les bourgeois libéraux et le régime tsariste. La deuxième Douma, fut encore une fois dissoute par le pouvoir et il fallut attendre une loi électorale éliminant les opposants au régime et favorisant les nobles, pour avoir une troisième Douma coopérative, en 1907, avec une majorité de droite nationale, avec l'Union du Peuple Russe.

A la veille de la première guerre mondiale, la bourgeoisie était profondément attachée à une évolution libérale du régime et se défiait de Nicolas II, autocrate qui avait travesti l'esprit du Manifeste d'Octobre 1905.

De plus, la guerre allait intimement associer l'Etat russe aux industriels privés, pour la production de guerre, ce qu'Hélène Carrère d'Encausse dans son Nicolas II nommera, "la Révolution Invisible", et qui annoncera la prise de pouvoir future de la bourgeoisie.

 

c°) L'impératrice Alexandra, l'âme damnée du tsar ?

 

Nicolas II et l'impératice Alexandra en 1894.


(Source: wikipedia)

Allemande de naissance, l'impératrice Alexandra Fedorovna, petite-fille de la reine Victoria, va jouer un grand rôle dans le discrédit du tsar. Famille profondément unie, Nicolas II était très attaché à sa femme et à ses enfants, avec qui il menait une existence bourgeoise. Mais la personnalité de l'impératrice va irrémédiablement s'assombrir, avec la naissance d'un tsarevitch, Alexis, atteint d'hémophilie. Désespérée, l'impératrice va s'en remettre à une sorte de gourou-guérisseur, un certain Grigori Raspoutine.


 ( Source: Wikipedia)

Faux moine et vrai charlatan, l'influence de Raspoutine va aller crescendo sur le couple impérial, étant même à l'origine de la nomination des généraux, pendant la Grande Guerre. Car le tsar parti à Moghilev, en 1916, c'est l'impératrice et son âme damnée, Raspoutine, qui allaient gouverner à Petrograd, faisant et défaisant les carrières et s'opposant, farouchement, à toute évolution libérale du régime, entraînant une exaspération croissante chez les nobles et les bourgeois-libéraux. Lors du discours d'ouverture de la Douma, le 1er novembre 1916, le chef du parti Constitutionnel-Démocrate (KD ou Cadet), représentant la bourgeoisie,  Pavel Milioukov,  accusa le Premier Ministre de l'époque, Boris Stürmer,  un protégé de la tsarine, de trahison au profit de l'Allemagne ! Le tsar fut obligé, devant la fronde des députés de la Douma, de licencier Stürmer, pour le remplacer par l'incompétent Trepov, qui se fit railler dès son arrivée devant la Douma. En pleine guerre, cette situation inquiétait les alliés de la Russie, qui voyait un Nicolas II ne plus maîtriser son pays !

Même dans la famille impériale, les suppliques au tsar pour faire évoluer le régime et écarter des affaires publiques la tsarine n'avaient aucun écho. Que ce soit le grand-duc libéral Nicolas ou le grand-duc Paul, aucun des deux ne put obtenir la libéralisation du régime ni le départ de l'impératrice qui discréditait l'institution impériale par ses décisions calamiteuses !

Devant l'entêtement du tsar à ne faire aucune concession, la famille complota même contre Nicolas II, pensant à le faire abdiquer, à envoyer la tsarine dans un couvent, pour donner le sceptre impérial au tsarevitch, Alexis, sous la régence du grand-duc Dimitri.

Dans la nuit du 29 au 30 décembre 1916, l'acrimonie de la famille impériale contre la tsarine, se traduisit par l'assassinat de Raspoutine, attiré dans un guet-apens chez le Prince Youssoupoff. L'élimination du favori de la famille impériale traduisait bien le fossé séparant cette dernière de son entourage proche !

 

2°) Un tsar abandonné: les journées de février.

 

a°) Pénurie et froid.

 

La guerre avait profondément bouleversé la vie économique russe. L'Etat avait accès sa production industrielle sur les armements au détriment du reste. Aussi, en cet hiver 1917 exceptionnellement froid, Petrograd fut touché par la pénurie de blé et de combustible. Le 19 février, les autorités de la capitale établirent le rationnement.

 

b°) 23 février 1917, les ménagères veulent du pain !

 

Le 23 février, les températures remontèrent et furent printanières, et une foule de ménagères descendit dans la rue, le matin, pour exprimer leur mécontentement devant la pénurie de pain. C'était aussi la Journée Internationale de la femme, et la perspective Nevski se remplissait de femmes demandant l'égalité des droits.

L'après-midi, l'atmosphère fut moins bon enfant, car les ouvrières des usines textiles de Vyborg se mirent en grève. Accompagnées par les ouvriers des usines métallurgiques, elles vinrent manifester au centre-ville.

100 000 personnes se massaient autour de la Douma, en fin d'après-midi, mais le gouvernement ne réagit pas.

Le lendemain, devant la passivité des forces de l'ordre, des pillages de magasins commencèrent et des ouvriers submergèrent de maigres troupes de cosaques, au pont de Liteni, reliant le quartier industriel de Vyborg au centre-ville.

 

Le 25 février, la foule grossit encore, dans les rues du centre-ville, et les slogans politiques, totalement absents des deux jours précédents, enflaient.

 

 

 

c°) Le rôle mineur des partis socialistes dans les journées de février.

 

 

 

Les partis socialistes ne virent pas venir la révolution de Février, mais il faut dire que beaucoup des chefs politiques socialistes vivaient en exil. Le menchevik Nicolas Soukhanov parlait de "désordres et non de révolution" et le bolchevik Chliapnikov, se rit de l'idée qu'on avait à faire à une révolution !

 

De même, les effectifs des militants des partis mencheviks, bolcheviks ou Socialistes-Révolutionnaires (SR) restaient numériquement faibles, en février 1917.

 

 

 

d°) La soldatesque pactise avec le peuple.

 

 

 

Le tsar, à Moghilev, sur le front, fut mal informé de la réalité des événements, par son ministre de l'Intérieur, Protopopov, favori de l'impératrice et notoirement incompétent. Il ordonna alors au chef du district militaire de Petrograd, le général Khabalov, de réprimer les manifestations.

 

Le 26 février, le régiment Semenovski tira sur la foule, mais d'autres régiments refusèrent et se mutinèrent, comme les régiments Pavlovski et Volynski. Mais ce fut la défection d'une compagnie du régiment Preobrajenski, de la Garde Impériale, sous l'action de Fedor Linde (1881-1917) , héros oublié de la Révolution de Février, qui fut décisif, et fit basculer la garnison de Petrograd.

 

 

 

e°) L'abdication du Tsar.

 

 

 

Nicolas II, inconscient des événements de Petrograd, se décida, sous la pression de l'impératrice, à revenir dans la capitale. Il n'y arriva jamais ! Les militaires firent dévier le train impérial à Pskov. Là, le 2 mars, deux représentants de la Douma, l'octobriste Goutchkhov et Choulguine, pressèrent le tsar d'abdiquer en faveur de son fils, le tsarevitch Alexis, sous la régence du grand-duc Michel.

 

Mais le coup de grâce viendra des généraux et de l'armée. Le général Alexeiev, chef de l'état-major, était persuadé que le renouveau militaire de la Russie , passait par l'abdication de Nicolas II, tsar faible soumis au bon vouloir de l'impératrice. Rassuré par la Douma que le nouveau gouvernement provisoire serait contrôlé par le parti Constitutionnel-Démocrate, et non par les socialistes, le général décida d'obtenir du Tsar son abdication. Le 2 mars, le général Rousski apporta à Nicolas II, les désidératas de ses chefs militaires, favorables à son abdication. Le Tsar, qui fut toujours très attaché à l'institution militaire, lâché par ses généraux, décida alors d'abdiquer, en nommant comme successeur le grand-duc Michel. La séculaire dynastie des Romanov avait perdu le pouvoir en trois jours, sans combat, lâchée par la bourgeoisie, la noblesse et l'armée !

 

La révolution de Février fut autant une insurrection populaire qu'une révolution par "le haut".

 

Le grand-duc Michel, peu porté sur les affaires publiques, refusa la couronne impériale. La monarchie russe s'éteignait donc, pour laisser place à un régime parlementaire bancal, qui ne devait durer que quelques mois.

 

 

Un QUIZZ pour réviser la révolution de Février.

 


28/06/2013
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La Révolution russe: de févier à octobre, le triomphe des bolcheviks.

Plan synthétique:

 

I.Un tsar discrédité.

 

Les journées de février qui commencèrent comme une révolte pour avoir du pain, se termina, à la surprise de beaucoup de partis révolutionnaires, en révolution politique. La bourgeoisie et les chefs militaires russes lâchèrent le tsar qui abdiqua rapidement.

 

II. Un double pouvoir: le gouvernement provisoire et le soviet.

 

Si c'est le peuple qui fit la révolution, ce fut la bourgeoisie qui rafla la mise. Mais deux pouvoirs se faisaient face :

- celui du soviet, incarnant le peuple.

- celui du gouvernement provisoire, représentant de la bourgeoisie.

Les deux pouvoirs, antinomiques, ne pouvaient que s'affronter de nouveau.

III. Lénine et les thèses d'Avril.

Lorsque Lénine revint en Russie, en avril 1917, il exposa un programme radical dont:

- une paix immédiate.

- le partage des terres.

- tout le pouvoir aux soviets.

- la dissolution de la police et de l'armée.

Il exigeait aussi de ses troupes de ne plus soutenir le gouvernement provisoire, ce qui annonçait l'affrontement final.

 

IV. Kerenski et la fin du gouvernement provisoire.

Le gouvernement provisoire était "un roi sans royaume". En effet, l'anarchie régnait dans l'armée russe, après le vote de l'Ordre n°1, début mars 1917, qui prévoyait la constitution de "comités de soldats", censés contrôler les officiers. De plus, l'effondrement de l'administration tsariste avait laissé place à l'anarchie dans le pays profond, à une balkanisation de l'espace russe, avec des moujiks qui se partageaient les terres des nobles.

Après la journée du 4 juillet 1917, un "Octobre manqué" qui faillit emporter le gouvernement, Kerenski fut nommé président du conseil, remplaçant un Prince Lvov épuisé. Kerenski pensait que son génie politique allait lui permettre de redresser la situation et il continua une guerre qui le rendit encore plus impopulaire auprès des soldats russes.

 

V.Octobre 1917: la prise de pouvoir par les bolcheviks.

 

La poursuite de la guerre par le gouvernement provisoire, rallia au parti bolchevik de nombreux soldats, notamment la garnison de Petrograd. Lorsque Kerenski voulut envoyer cette garnison bolchevisée sur le front, pour se débarrasser d'elle, ce fut la goutte d'eau qui accoucha de la révolution d'Octobre. Lénine, contre l'avis de ses camarades, imposa alors un coup de force, pour prendre le pouvoir, sans les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, avec lesquels il ne comptait pas partager le pouvoir. Le coup d'état se déroula en douceur, car les masses de Petrograd étaient déjà acquises aux bolcheviks et le gouvernement provisoire était depuis longtemps une coquille vide, sans pouvoir.

 

 

Plan détaillé:

 

I. Le soviet accepte un gouvernement bourgeois.

 

Alors que la révolution était partie du peuple, ce sont les élites russes qui vont gouverner le pays, jusqu'en octobre 1917.

 

1°) Février 1917, une révolte populaire qui se transforme en révolution.

 

a°) La révolte populaire.

 

Le 23 février 1917, journée internationale de la femme, les femmes de Petrograd, manifestent  sur la perspective Nevski, pour réclamer l'égalité des droits  et montrer leur mécontentement contre la politique de rationnement décrétée par le pouvoir tsariste, qui s'est traduite par la fermeture de certaines boulangeries, qui ne sont plus ravitaillées en farines. L'atmosphère était plutôt bon enfant, et les slogans à caractère politique étaient absents. D'ailleurs, le socialiste Nikolaï Soukhanov ne parlait que de désordres et  le bolchevik Chliapnikov, lors d'une réunion du parti, le même jour, déclara à ses camarades que cette révolte de la faim ne se transformerait pas en révolution, qu'il suffirait que le pouvoir tsariste distribue un poud de farine pour calmer les ardeurs du peuple.

 

b°) La révolution: l'armée rejoint le peuple.

 

Ce qui va transformer la révolte du pain en révolution politique, c'est le ralliement d'une partie de la garnison de Petrograd aux manifestants, notamment d'une partie du régiment Preobrajenski, sous l'action de Fedor Linde.

 

c°) L'élection du soviet du Petrograd.

 

Le 28 février, 3000 délégués du soviet nouvellement élu, se pressaient pour élire leur président, le menchevik Tchkeïdze, flanqué de Kerenski et de Skobelev. Le comité exécutif du soviet, véritable organe de commandement, était alors contrôlé par les mencheviks, majoritaires par rapport aux bolcheviks et aux socialistes-révolutionnaires (SR).

 

2°) La bourgeoisie et les généraux contre le Tsar.

 

a°) La Douma et les militaires lâchent le Tsar.

 

Alors que la révolution populaire grondait à Petrograd, à Pskov, où Nicolas II s'était arrêté sur le chemin de retour vers sa capitale, le chef d'état-major de l'armée, le général Alexeïev et le chef de la Douma, Milioukov, pressaient le tsar d'abdiquer, ce qu'il fera le 2 mars. Les élites russes venaient d'achever une institution multiséculaire mais totalement déconsidérée.

 

b°) Le paradoxe de Février.

 

 Le soviet et la Douma étaient donc les deux pouvoirs qui restaient, en Russie, l'un incarnant les couches populaires, l'autre, la bourgeoisie. Il aurait été logique que le soviet des ouvriers et des paysans s'empare du pouvoir. Mais les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires pensaient que la Russie n'était pas mûre pour une révolution socialiste. Se référant à l'orthodoxie marxiste, une phase de transition, bourgeoise, permettrait à l'économie de décoller et au peuple de s'éduquer, conditions nécessaires à l'entrée dans l'ère du socialisme, prodrome du communisme. De plus, le soviet craignait que l'anarchie s'installe et qu'une contre-révolution militaire éclate. Pour toutes ces raisons, le soviet demanda aux bourgeois de la Douma, de former un gouvernement. La révolution était partie d'en-bas, du peuple, mais c'est la bourgeoisie qui raflait la mise, puisque le chef du 1er gouvernement provisoire serait un noble, le Prince Lvov. C'est ce que Trotski appela le "paradoxe de février".

 

3°) Le gouvernement provisoire et le soviet, deux légitimités antagoniques.

 

a°) Le gouvernement: du Prince Lvov .

 

Le 2 mars, le KD Pavel Milioukov, qui incarnait les intérêts de la bourgeoisie, 

 


 (Source: wikipedia)

 

forma un nouveau gouvernement, présidé par le Prince Lvov,


(Source: wikipedia)

un homme pragmatique, peu porté sur les idéologies et respecté par tous. Les 12 ministres, étaient tous issus de l'ancienne Douma. Milioukov présidait aux affaires étrangères et l'ambitieux Kerenski, vice-président du soviet et menchevik (socialiste réformiste), à la Justice.

 


(Source: wikipedia)

 

Ce gouvernement comptait continuer la guerre contre les puissances centrales (ce qui était antinomique avec l'Ordre n°1) et libéraliser la société et l'économie russe, notamment commencer une réforme agraire, pour accélérer le développement de la Russie.

 

b°) L'épée de Damoclès du Soviet.

 

Si le soviet avait accepté un gouvernement bourgeois, il avait obligé ce dernier a accepté 8 points, consacrant toute une série de liberté, ce qui fera dire à Lénine que le gouvernement Lvov était devenu "le pays plus libre du monde".

 

 

c°) L'ordre n°1, ferment de décomposition de l'armée.

 

Dans la foulée de la révolution de février, début mars, le soviet de Petrograd avait édité l'Ordre n°1, qui posait que dans chaque compagnie, un comité de soldats, n'obéissant qu'au soviet, ferait pendant à l'autorité des officiers. Ce Prikaz allait miner les fondements de l'armée russe, qui allait se déliter sous la pression de soldats qui ne voulaient plus se battre et se traduire par une situation de quasi-anarchique qui allait amener les bolcheviks au pouvoir.

 

II.Un gouvernement provisoire sans pouvoir.

 

1°) La balkanisation de la Russie.

 

a°) Une administration qui s'effondre.

 

La révolution de février avait sapé l'autorité de l'administration tsariste, qui se délitait, laissant une grande partie de l'immense territoire glisser vers l'anarchie. Si la dualité soviet/gouvernement était une des constantes du régime issu de la révolution de février, la fragmentation politique de l'espace politique russe en était une autre.

L'immense empire se se balkanise, morcelé en des milliers de pouvoirs locaux, n'obéissait plus au gouvernement central.

Les partis au pouvoir allaient louvoyer pour imposer une loi électorale renvoyant aux calendes grecques une Constituante censée apporter une nouvelle légitimité au futur gouvernement, désespérant les russes de bonne volonté.

 

b°) L'anarchie paysanne.

 

La révolution de février va ouvrir la voie à un partage des terres entre les paysans russes. Hobereaux, propriétaires terriens, allaient subir les assauts des moujiks, ivres de vengeance après des centaines d'années d'humiliation. Ce "partage noir" va être piloté par la communauté villageoise ou mir et va s'accélérer après la nomination,en mai, du socialiste-révolutionnaire, Viktor Tchernov, au Ministère de l'Agriculture.

 


 

 (Source: wikipedia)

 

Le Prince Lvov assista impuissant, à cette anarchie paysanne, la légitimant comme la "revanche des serfs" contre des hobereaux qui avaient traité les moujiks comme des "chiens". De toute façon avec la désintégration de l'administration russe, le gouvernement provisoire n'avait aucun levier pour éviter ce cycle de violence paysanne.

 

Les comités temporaires mis en place le 20 mars, par le gouvernement, et censés faire respecter la loi, se transformèrent rapidement en organes révolutionnaires, justifiant la confiscation des terres des hobereaux.

 

La première assemblée paysanne panrusse, qui se réunit au mois de mai, justifia cette politique d'expropriation qu'un gouvernement spectateur regardait sans pouvoir réagir.

 

 

 

c°) Les gardes rouges.

 

 

 

De nombreux révolutionnaires de février, surtout des ouvriers, n'avaient pas rendu les armes et étaient organisés en brigades responsables devant le soviet. Lorsque le gouvernement créa sa propre milice pour faire régner l'ordre, ces "gardes rouges" ne furent pas désarmés, puisqu'ils étaient l'expression de la dualité du pouvoir en Russie, entre gouvernement légal et soviet.

 

En juillet 1917, la garde rouge de Petrograd comprenait 20 000 ouvriers en armes.

 

 

 

d°) La question nationale.

 

 

 

La révolution de février avait relancé les mouvements des nationalités soumis à l'impérialisme grand-russe. Le Parti Constitutionnel-Démocrate (KD) était partisan de garder intact l'empire russe et de ne pas céder aux pressions des forces nationalistes. Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires se rallièrent aux vues du gouvernement libéral. Deux régions de l'empire connaissaient des mouvements nationaux puissants, la Finlande et l'Ukraine. La Rada ukrainienne, lassée des atermoiements du gouvernement central, déclara, le 10 juin 1917, la liberté de l'Ukraine. Le 2 juillet, une délégation russe menée par Kerenski trouva un compromis avec les ukrainiens. L'Ukraine était dotée d'une large autonomie et la Rada était reconnue. Le parti Cadet, ulcéré, quitta alors le gouvernement, isolant un peu plus celui-ci.

 

 

 

2°) Une guerre impopulaire, une armée qui se délite.

 

 

 

a°) Les buts de guerre: gouvernement contre soviet.

 

 

 

Alors que le pays était au bord du gouffre, le gouvernement provisoire, fidèle aux alliés franco-anglais, continua la guerre dans un contexte désastreux, ce qui contribua à son impopularité croissante. 

 

La bourgeoisie libérale, les Cadets et les constitutionnalistes, suivant la politique impériale grand-russe, voulaient continuer la guerre pour avoir le bénéfice des concessions faites par les alliés, lors de traités secrets signés en 1916, qui promettaient à la Russie un accès au détroit turc et le contrôle de Constantinople, vieille lune de la stratégie russe.

 

Par contre, le soviet de Petrograd, le 17 mars, lança un "Appel aux peuples du monde entier", où il déclarait renoncer aux buts de guerre russe, et appelait les peuples des pays belligérants à manifester pour la paix. Milioukov, alors ministre des affaires étrangères, fit mine de se rallier aux positions pacifistes du soviet, tout en certifiant aux puissances alliées que la Russie continuerait la guerre, double jeu qui rendit le chef cadet impopulaire auprès des ouvriers et des soldats.

 

 

 

b°) La décomposition de l'armée.

 

 

 

L'ordre n°1, créant des comités de soldats dans les compagnies, avait miné l'autorité et la discipline militaire. Lorsque Broussilov fut nommé en mai, chef d'état-major de l'armée, il s'aperçut que outre la fuite de centaines d'officiers devant des soldats remettant en cause leur autorité, des centaines de milliers d'hommes avaient déserté, un million, de mars à octobre.

 

Beaucoup de soldats ralliaient les bolcheviks, non parce qu'ils adhéraient à leur programme mais car ces derniers étaient les seuls à demander une paix immédiate.

 

 

 

 III.D'avril à octobre 1917, la montée en puissance des bolcheviks.

 

 

 

1°) Le retour de Lénine.

 

 

 

a°) Les thèses d'Avril.

 

 

 

Relativement absent des journées de février, dominées par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, les bolcheviks allaient exploiter l'impopularité croissante du gouvernement provisoire, surtout à partir de la prise de pouvoir d'Alexandre Kerenski, le 5 mai.

 

Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, le chef du parti bolchevik, 


 (Souce: wikipedia)

 

absent des événement de Février, car en exil en Suisse, arriva à Petrograd le 3 avril 1917. Cela faisait 17 ans que Lénine n'avait plus mis les pieds en Russie.

 

Le lendemain, au palais de Tauride, où siégeait le soviet, il stupéfia l'assemblée par son programme politique. Au lieu d'accepter une étape bourgeoise, Lénine exigeait une seconde révolution pour donner le pouvoir aux ouvriers et aux paysans, allant à l'encontre des idées des sociaux-démocrates mencheviks et des SR. Tsereteli, président du soviet, accusa alors l'orateur d'oublier Marx (qui prônait une étape bourgeoise) au profit de Bakounine (militant anarchiste qui prônait l'abolition de l'Etat).

 

Le 7 avril, Vladimir Illitch, dans un article dans la Pravda, précisa ses thèses d'Avril en demandant :

 

- une paix immédiate.

 

- tout le pouvoir au soviet.

 

- suppression de la police et de l'armée.

 

- confiscation des terres des propriétaires terriens par les paysans, par le biais des soviets locaux.

 

- fusion de toutes les banques contrôlées par le soviet.

 

 

 

Lénine, par ses thèses anarchisantes, peu en phase avec sa théorie qui mettait le parti au centre de la révolution, essayait d'exploiter le désir de paix des soldats et le besoin de terre des paysans, pour rallier un maximum d'entre eux à la cause bolchevique.

 

 

 

b°) Les grèves d'avril.

 

 

 

 

 

Le 20 avril, des milliers de soldats et d'ouvriers manifestent dans les rues de Petrograd, réclamant la fin du gouvernement bougeoise et le transfert du pouvoir au soviet, suivant la ligne léniniste. Le lendemain, des combats eurent lieu entre les manifestants et des partisans de la guerre.

 

Irakli Tsereteli, menchevik et président du soviet, effrayé par la violence de la rue, notamment celle des bolcheviks et des anarchistes, se rallia aux vues du gouvernement et entra dans le nouveau gouvernement du Prince Lvov, le 5 mai 1917, comme ministre des Postes et des Télégraphes alors que Kerensky prenait le ministère de la guerre. Le Prince, en s'appuyant sur le soviet, essayait de donner une nouvelle légitimité populaire à son gouvernement.

 

 

 

2°) L'échec du gouvernement et la bolchevisation des masses.

 

 

 

 

 

Lénine, malgré son discours radical, craignait qu'une révolution prématurée soit tuée dans l'oeuf, et fasse le lit d'une contre-révolution militaire. Aussi, se méfiait-il du "spontanéisme" des masses bolchevisées ou anarchistes, qui, en précipitant la révolution, pourrait l'enterrer.

 

 

 

a°) Cronstadt et Vyborg, avant-garde de la révolution bolchevique.

 

 

 

Début mai, les bolcheviks étaient majoritaires chez les soldats de Kronstadt, base navale sur la baltique.

 

Or, le 16 mai, le soviet de Kronstadt se déclara souverain, rejetant l'autorité du gouvernement, proclamant la République soviétique de Kronstadt. Lénine pesta contre ce manque de discipline du parti, et le président du soviet de Petrograd, Tsereteli, obtint par la négociation la fin de la rebellion kronstadtienne, le 24 mai. Il n'en restait pas moins que la base navale était une épée de Damoclès pointée sur la capitale russe.

 

D'ailleurs, début juin, les marins de Kronstadt planifièrent un coup d'état, ce qui divisa les hautes instances du parti, entre une ligne Lénine/Staline, favorable à l'action, et une ligne Zinoviev/Kamenev, attentiste. Au dernier moment, le soviet recula et les manifestations furent reportées.

 

L'autre bastion du militantisme révolutionnaire, était le quartier ouvrier de Vyborg, dans les faubourgs de Petrograd, où était la garnison des 10 000 soldats du 1er régiment des mitrailleurs, largement acquis aux bolcheviks.

 

 

 

b°) La fuite en avant militaire, prolégomène à la bolchevisation des masses.

 

 

 

Alors que la Russie était exsangue, le ministre de la Guerre, le menchevik Alexandre Kerensky, demanda à son nouveau chef de l'armée, Broussilov, de lancer une offensive à l'Ouest. Son idée, était de finir la guerre rapidement. Mais ce fut une dramatique erreur d'appréciation, qui rallia de plus en plus de soldats aux bolcheviks et précipitera la chute du gouvernement provisoire.

 

Même Broussilov s'aperçut, au cours d'une tournée sur le front, que les troupes étaient totalement démoralisées, et que le slogan bolchevik de la paix immédiate, ralliait de plus en plus de soldats aux thèses de Lénine, sans d'ailleurs les connaître précisément. L'historien Allan Wildman nommera ce phénomène le "bolchevisme de tranchée".

 

Le ministre de la guerre ne voulut rien savoir et l'offensive début le 16 juin. Après une avance initiale, la contre-offensive allemande pulvérisa l'armée russe, qui se débandait devant l'ennemi, les soldats désertant en masse ! Cette ultime offensive précipita la césure entre les soldats et leur gouvernement.

 

 

 

c°) La journée du 4 juillet, un octobre manqué.

 

 

 

Affaibli par le départ des ministres Kadets, après la reconnaissance de l'autonomie de l'Ukraine, miné par le désastre militaire de l'offensive Broussilov, le gouvernement du Prince Lvov devenait fantôme, à la merci d'un coup d'état perpétré par une garnison de Petrograd, largement bolchevisée.

 

Le 4 juillet, des milliers d'ouvriers et de soldats envahirent la perspective Nevski, décidée à renverser le gouvernement. Curieusement, le parti bolchevik n'avait pas donné de consignes précises, laissant la manifestation à sa dynamique confuse. La pusillanimité de Lénine était due à la crainte que la situation révolutionnaire ne soit pas tout à fait mûre, pour défier le pouvoir central, une action précipitée pouvant entraîner une répression brutale, tuant dans l'oeuf les velléités révolutionnaires.

 

Mais ce jour-là, le palais de Tauride, où siégeait le gouvernement et le soviet, était offert aux manifestants, sans troupes pour le protéger, mais la foule, sans directives précises, se consumma dans une vaine rage, hésitante et finalement dispersée par la colère des cieux, un gigantesque orage qui couvrit Petrograd de ses eaux.

 

La journée du 4 juillet fut un Octobre manqué, mais ce n'était que partie remise.

 

 

 

d°) La mise au ban des bolcheviks.

 

 

 

Très rapidement, le gouvernement désigna les bolcheviks comme les instigateurs de la tentative de coup d'état du 4 juillet. C'était en partie vrai, même si un Trotski,


 (Source:wikipedia)

 

 

sauva le menchevik Tsereteli, venu parlementer avec les manifestants, d'un lynchage assuré.

 

Le 6 juillet, les troupes loyalistes encerclèrent le QG bolchevik, l'hôtel Ksechinskaïa et arrêtèrent 500 militants. Un mandat d'arrêt fut lancé contre 11 dirigeants bolcheviks, ce qui obligea Lénine à fuir en Finlande, avec Zinoviev. Près de 800 bolcheviks furent arrêtés, dont Trotski et Kamenev. Mais le gouvernement retint le glaive qui devait couper la tête du parti bolchevik, à la grande surprise d'un Illitch, qui s'attendait à une répression sanglante contre son parti. Les mencheviks, peut-être encore trop liés aux bolcheviks, par leur histoire commune, n'eurent pas la force d'éradiquer les partisans de Lénine. Cette faiblesse va leur coûter très cher, puisque ce dernier n'aura pas les mêmes prévenances envers ses collègues d'antan, et tranchera dans le vif, après Octobre.

 

 

 

e°) Le gouvernement Kerenski ou le chant du cygne des mencheviks.

 

 

 

Le 6 juillet, le Prince Lvov, épuisé de danser sur le volcan, démissionna, soulagé de passer le témoin à Alexandre Kerenski. Ce dernier, ambitieux, pensait que son énergie et son "génie" politique allaient suffire à contrôler la situation, mais sa vanité allait rapidement se transformer en cécité.

 

Le nouveau premier ministre déplaçait le coeur du pouvoir du Palais de Tauride à Palais d'Hiver, où il prit ses aises dans les appartements du tsar Alexandre III. Il chassa le soviet vers l'Institut Smolny, comme pour prouver sa toute puissance. Ce changement de géographie du pouvoir n'allait pas modifier la problématique du gouvernement, toujours coincé entre sa posture belliciste et l'anarchie militaire qui régnait au front.

 

Kerenski essaya de rétablir la discipline dans l'armée, en rétablissant la peine de mort, en réduisant le rôle des comités de soldats et en nommant le général Kornilov, connu pour sa forte personnalité, à la tête de l'armée.

 

 

f°) Le coup de état de Kornilov, mythe ou réalité ?

Le nouveau chef de l'armée russe, Lavr Kornilov, général respecté, officier charismatique, ne pouvait faire que de l'ombre au vaniteux Kerenski, qui se sentit très vite menacé par ce militaire bourru. En prise avec le soviet qui se bolchevisait, le chef du gouvernement s'inquiéta rapidement de l'influence grandissante de son chef d'état-major. Le 10 août, le général s'invita au Palais d'Hiver avec ses gardes du corps pour forcer la main de Kerenski à rétablir la loi martiale, à l'arrière du front et à mettre hors-la-loi les bolcheviks. Ce dernier refusa et une dispute éclata entre les deux hommes. Dans cette situation tendue, le ministre de la Guerre, Boris Savinkovvisita Kornilov le 22 août, et le rassura sur les intentions du gouvernement. Il lui demanda d'envoyer à Petrograd le 3e corps de cavalerie pour parer à une insurrection bolchevique. Le 25 août, le généralissime ordonna à la cavalerie de Krymov de se diriger vers la capitale, comme lui avait demandé le gouvernement. C'est alors que Kerenski cria à la tentative de coup d'état, et licencia, le 27 août, le chef de l'armée. Ce dernier, croyant que le chef du gouvernement était à la merci des bolcheviks ordonna à sa cavalerie d'entrer à Petrograd, de dissoudre le soviet et d'encercler la garnison.

 

Le 29 août, Kerenski se nomma lui-même commandant en chef de l'armée, conseillé par un nouveau chef d'état-major, le général Alexeïev. Pour combattre le soi-disant coup d'état, il remit en jeu les bolcheviks, qui étaient en disgrâce, depuis la journée du 4 juillet.

 

Le chef du gouvernement, pour éliminer un rival potentiel, s'était aliéné les forces de droite et en s'appuyant sur les bolcheviks, il avait fait entrer le loup dans la bergerie.

 

 

 

3°) Octobre 1917.

 

 

 

a°) Le retour en force des bolcheviks.

 

 

 

L'été 1917 avait vu un processus de radicalisation des masses se mettre en oeuvre. Avec l'impuissance du gouvernement à mettre fin à la guerre, et la perspective d'une contre-révolution, plus fantasmée que réelle, les ouvriers et les paysans se rallièrent, de plus en plus, aux thèses léninistes, qui prônaient une paix immédiate et la terre aux paysans.

 

Ce succès  se traduisit dans les urnes, puisque le 31 août, le soviet de Petrograd, pour la première fois, eut une majorité bolchevique et d'ailleurs, Trotski en prendra la présidence, le 25 septembre.

 

De plus, la défense de la révolution lors de le pseudo coup d'état de Kornilov, avait armé près de 40 000 ouvriers, tous acquis aux idées de Lénine, ce qui fera dire à Trotski que ce fut un bon entraînement pour Octobre.

 

Depuis la révolution, le nombre de militants bolcheviks, selon Jean-Jacques Marie,  était passé de 5 000, en février, à 200 000 en octobre !

 

Contre cette montée en puissance des partisans de Lénine, Kerenski était impuissant. Malgré ses postures martiales pour haranguer la foule, le chef du gouvernement ne représentait plus que lui-même, dans un gouvernement fantôme, désormais détesté sur sa droite, depuis l'affaire Kornilov et méprisé sur sa gauche, pour son incapacité à obtenir la paix.

 

 

 

b°) Lénine pour un coup d'état.

 

 

 

Au sein des instances du parti bolchevik, deux tendances se dégageaient. Celle défendue par Kamenev,


  (Source: wikipedia)

 

et Zinoviev, qui pensaient qu'un compromis était nécessaire avec les SR et les Mencheviks de gauche, pour gouverner la nouvelle Russie socialiste. Les deux hommes étaient attachés au légalisme et prônaient la soumission du parti au soviet, garant de la légitimité révolutionnaire.

 

Celle de Lénine, qui ne voulait faire aucun compromis et pensait que les organes politiques devaient être contrôlés par les seuls bolcheviks. Le "tout le pouvoir aux soviets" des thèses d'Avril, n'était qu'un slogan opportuniste, puisque dans l'oeuvre d'Illitch, c'est le parti et la dictature du prolétariat qui devaient primer sur l'assemblée élue, fut-elle prolétarienne. 

 

Le 15 septembre, de son exil finlandais, Lénine envoya deux lettres au comité central du parti bolchevik, pour expliquer que ce dernier, sans attendre l'élection de la Constituante, devait prendre le pouvoir. Devant l'attentisme des dirigeants bolcheviks, plutôt ralliés à l'idée d'un gouvernement socialiste avec les SR et les mencheviks de gauche, Illitch se mit à traiter ses collègues de "misérables traîtres à la cause prolétarienne", demandant une insurrection immédiate !

 

c°) Insurrection armée contre légalisme révolutionnaire.

 

 

 

Les partisans d'un compromis avec les autres mouvements socialistes voulaient attendre le congrès panrusse des soviets qui devait avoir lieu le 25 octobre. Or, le soviet étant à majorité bolchevique, la prise de pouvoir des partisans de Lénine était sûre et se ferait en douceur, avec  une légitimité sans faille. C'était l'idée défendue par la majorité des dirigeants bolcheviks, sauf Illitch !

 

Pourquoi ce dernier ne voulait pas attendre le congrès des soviets ? Car il ne voulait pas devoir gouverner avec ses partenaires socialistes du soviet, les SR et les mencheviks, et la perspective d'une guerre civile ne lui faisait pas peur, elle lui semblait même nécessaire pour enclencher tout processus révolutionnaire.

 

Le 10 octobre, juste revenu de Finlande, Lénine, devant le Comité Central mettra tout son poids pour l'insurrection immédiate et emportera la décision, grâce à son charisme. Le coup de force d'Octobre fut donc bien imposé par le leader bolchevik contre la majorité de son parti.

 

La tendance Kamenev n'en resta pas là, puisque le 18 octobre, dans le journal de Gorki, Novaïa Jizn, le bolchevik exposa, dans un article, la nécessité de passer par le soviet pour prendre le pouvoir, évitant la guerre civile. Lénine, de rage, traita l'auteur de la missive de "traître" !

 

 

 

d°) Le 25 octobre 1917, la prise du pouvoir par les bolcheviks.

 

 

 

 Kerenski, dont la cécité n'avait d'égale que sa vanité, sentait venir cette insurrection, il la désirait, même, persuadé qu'il pourrait régler, comme après le 4 juillet, leur compte aux bolcheviks. Mais le contexte avait changé, puisqu'en octobre le chef du gouvernement était totalement discrédité, notamment parmi les officiers. Lorsqu'il voulut muter sur le front, la remuante garnison de Petrograd, acquise aux bolcheviks, il précipita sa perte. En effet, la soldatesque, plutôt encline à attendre le congrès des soviets, se rallia alors à la thèse léniniste de l'insurrection immédiate.

 

Le 23 octobre, la majorité des points stratégiques de Petrograd était contrôlée par les bolcheviks en armes, dont la fameuse Forteresse Pierre et Paul. Le 24, la capitale était aux mains des mutins, sans combat, puisque personne ne voulait défendre ce gouvernement honni. Trotski, lui-même, avoua que seulement 5 % des ouvriers et soldats de la ville participèrent au coup de force et beaucoup de petersbourgeois ne s'aperçurent de rien. On était donc très loin de la vision d'Eisenstein, cinéaste officiel du régime soviétique, 10 ans plus tard, dans son film Octobre, qui présenta le coup de force comme une révolution mobilisant tout le peuple.

 

Le 24 au soir, l'assaut fut donné au Palais d'Hiver, que Kerenski avait abandonné, et qui était gardé par 3000 soldats, dont 200 femmes du Bataillon de la mort. Mais la majorité d'entre eux s'était dispersée avant l'assaut, qui fut une formalité.

 

Devant le coup de force réussi, annoncé par Kamenev, devant le congrès des soviets réuni dans la capitale, les SR et les mencheviks condamnèrent le coup de force bolchevique et quittèrent le congrès, laissant les bolcheviks seuls maîtres du jeu.

 

 

 

 

 


28/06/2013
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