REVISER L\'HISTOIRE-GEOGRAPHIE ET L\'ECJS.

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AFGHANISTAN: ISLAMISTES CONTRE COMMUNISTES (1973-1992).

Sources:

- Le carrefour afghan de Bernard Dupaigne et Gilles Rossignol, Gallimard, 2002, collection Folio actuel.

- Al-Qaida, La véritable histoire de l'islam radical de Jason Burke, édition La Découverte, 2003.

 


 

I. Daoud Khan, entre soviétique et islamiste !

 1°) Daoud: le Prince rouge.

 Le coup d'état dans la nuit du 16-17 juillet 1973, piloté par des éléments communistes et républicains de l'armée afghane, mit fin à 50 ans de règne du roi Zaher.

 C'est le cousin du roi et ancien premier ministre, dans les années 50-60, Mohammed Daoud Khan, qui prit le pouvoir,


(Source: wikipedia)

avec un gouvernement composé de de 50 % de ministres communistes, tendance Partcham. Le changement de régime se fit dans l'indifférence complète, comme si le pays réel ignorait le pays "légal" !

 

Dès le 20 août 1973, Daoud annonça une réforme agraire basée sur la constitution de coopératives, son alliance indéfectible avec l'URSS et réveilla la querelle avec le Pakistan sur le Pachtounistan, avec la remise en cause de la ligne Durand !

 

Le roi Zaer Shah avait toujours essayé de mener une politique d'équilibre, entre les deux blocs. Daoud, lui, va s'inféoder au puissant allié soviétique, plus par désintérêt américain pour le pays, que par véritable parti pris idéologique. L'aide américaine ayant drastiquement baissé dans les années 60, puisqu'elle fut divisée par 3, et les nord-américains préférant soutenir le Pakistan, le nouveau chef de l'Afghanistan n'avait pas trop le choix de ses alliés et entra donc, en reculant, dans l'orbite soviétique.

 2°) Daoud, otage des communistes ?

 Cerné par les communistes afghans du Partcham, au sein de son gouvernement, et par une armée pro-soviétique, le Prince Rouge essaya de trouver de nouveaux alliés pour ne pas dépendre uniquement de l'URSS. Il se rapprocha du shah d'Iran, en 1975, qui lui accorda un prêt de 710 millions de $.

Il normalisa ses relations avec le Pakistan, en 1976, et Daoud Khan accepta alors de reconnaître la ligne Durand, pierre d'achoppement entre les deux pays et renonça, de fait, à reconstituer le Pachtounistan, région transfrontalière chevauchant les deux pays.

 

3°) La menace islamiste et le coup d'Etat de 1975.

 Si les mouvements marxistes se sont développés, chez les étudiants afghans, dans les années 60, c'est le cas aussi pour les mouvements islamistes. En 1965, alors que des communistes afghans fondaient le PDPA, des étudiants islamiques créaient l'Organisation de la jeunesse musulmane, surnommée Ikhwan  , qui remporta les élections étudiantes en 1972. Déjà, à l'époque, les leaders islamistes étaient Burhanuddin Rabbani, Abdul Rasuf Sayaf et Gulbudin Hekmatyar, des noms que l'on retrouva, quelques années plus tard, dans le combat contre les soviétiques.

Dès son arrivée au pouvoir, Daoud va réprimer le mouvement islamiste qui n'eut d'autres solutions que de se réfugier au Pakistan. Un certain Massoud, tadjik et partisan de Rabbani fut de cet exil. Ils furent bien accueillis par Ali Bhutto, le premier ministre pakistanais, qui, à l'époque était en butte à la politique agressive de Daoud, concernant la non-reconnaissance de la ligne Durand. Le conseiller de Bhutto pour les affaires afghanes était un certain Nasirullah Babar, qui paria sur le pachtoune afghan Hekmatyar, au détriment du tadjik Rabbani. Les vieilles querelles ethniques allaient pendant longtemps diviser le mouvement islamiste afghan.

Aidé par l'argent saoudien et la logistique pakistanaise, les islamistes fomentèrent une rébellion dans le Panchir, contre le pouvoir pro-soviétique de Kaboul, le 22 juillet 1975, révolte sans issue et férocement réprimée par les forces gouvernementales.

 

 4°) Daoud renversé par les communistes afghans.

 

Si Daoud s'était allié avec l'URSS, c'était plus par pragmatisme que par idéologie. Pour affaiblir l'influence soviétique au sein de son gouvernement, il avait progressivement éliminé les ministres communistes. Cette politique allait réunir les deux mouvances du marxisme afghan, les parchamis et les khalqis, "frères ennemis" du communisme afghan. Moscou s'aperçut qu'il avait parié sur le mauvais cheval.

Le 17 avril 1978, le secrétaire général du PPDA, Mir Akhbar Khayber fut assassiné par un islamiste. Ses obsèques furent l'occasion de violentes manifestations contre le pouvoir en place. Daoud décida alors, le 26 avril, de faire arrêter les dirigeants du PDPA. Crise de lèse-majesté contre les soviétiques, la tentative d'élimination des marxistes du paysage politique afghan se retourna contre lui, puisque dès le lendemain, une faction de l'armée pro-soviétique prit d'assaut le palais présidentiel, massacrant le président et toute sa famille. Le 30 avril 1978, le pouvoir fut alors confié aux communistes, et Nour Mohammed Taraki du Khalq, qui devint le Président du Conseil Révolutionnaire et premier ministre,


 (Source: wikipedia)

alors que Babrak Karmal, du partcham, devenait vice-président et vice-premier ministre,


(Source: Biografias y vidas)

 

et Hafizoullah Amin, du Khalq, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères.

 II.Les communistes afghans contre le pays réel ! (1978-1979).

 1°) La Révolution de Saur.

 La révolution de Saur est le nom donné au coup d'état communiste, en référence au nom du mois du calendrier afghan, les nouveaux dirigeants marxistes entendaient moderniser l'Afghanistan à coups de réformes radicales. Comme jadis les bolcheviques l'avaient fait en Russie, le PPDA voulait réformer profondément le pays profond, aux forceps !

 Le 30 juin 1978, le gouvernement annonça un train de réformes progressistes en 30 points. Mais le gouvernement de Kaboul était profondément isolé dans sa capitale et n'avait quasiment aucun relai dans le pays profond, encore très rural, traditionnel et profondément attaché à l'islam. Sans concertations préalables avec les assemblées traditionnelles pachtounes, le pouvoir voulut changer la société par décret ! Les jeunes "hussards" de la nouvelle république soviétique, parlaient un langage incompréhensible aux paysans pachtounes, plus attachés à la hiérarchie villageoise et au respect des anciens qu'à la logomachie marxisante de militants juvéniles !

La réforme agraire, le changement de statut de la femme, l'alphabétisation, et la répression contre les mollahs, tous ses idéaux progressistes sensés moderniser l'Afghanistan se heurtèrent à la résistance d'une population bien trop ancrée dans la tradition et dans la religion pour accepter ces nouvelles valeurs.

2°) La révolte du pays profond contre les communistes.

 C'est dans le Nouristan, province montagneuse de l'Hindou Kouch, parsemée de hauts sommets et de profondes vallées, où Kipling situa l'histoire de son Homme qui voulut être roi, que le 10 juillet 1978, 


le poste militaire de Manougi, dans la vallée de Petch, fut attaqué. Au même moment, une garnison se rebella dans la province, et des conseillers soviétiques furent tués à Djalalabad. Les autorités menèrent une répression féroce jusqu'en mars 1979, avant de se retirer de cette région montagneuse, difficilement contrôlable. Le Nouristan, trop isolé,  ne fut plus inquiété, même pendant la guerre contre les soviétiques.

Le 13 février 1979, la situation se dégrada encore, avec l'assassinat de l'ambassadeur américain à Kaboul, Adolphe Dubbs, ce qui entraîna la rupture définitive entre le régime pro-soviétique et les américains.

En mars 1979, la garnison d'Hérat  se souleva, et c'est l'aviation soviétique qui  annihila la révolte, en bombardant la cité, faisant près de 50 000 morts. Cette intervention des russes, montra bien que le régime de Kaboul ne tenait que grâce à son grand protecteur du Nord, et que l'Afghanistan était déjà devenu un protectorat soviétique, avant l'invasion de décembre 1979.

 

3°) Parchamis contre Khalqis.

 

Le PPDA était divisé en deux mouvances, le Partcham, persanophone et le Khalq à majorité pachtoune. En juillet 1978, Taraki le "radical", se défit de ses ministres parchamis, dont Babrak Karmal, un modéré. Mais au sein du Khalq, les inimitiés étaient féroces. Le Ministre de la Défense, Hafizoullah Amin, n°2 du régime, visait la place de n°1. Le 10 septembre 1979, Taraki, à Moscou, eut l'accord des soviétiques pour éliminer le ministre ambitieux. Mais le dirigeant afghan  apprécia mal les rapports de force au sein de son régime. Amin avait pris ses dispositions, et c'est Taraki qui va être occis par son ministre de la Défense, fin septembre 1979 ! Le 9 octobre, le Kaboul News Times, annonça la mort du chef du gouvernement afghan, victime d'une longue maladie ...

Les dirigeants soviétiques n'oublièrent pas ce camouflet !

 

III. Les soviétiques en Afghanistan (1979-1989).

 

1°) L'invasion, le 27 décembre 1979.

 

L'élimination de Taraki ne changea rien à la difficulté du régime à gouverner. Miné par les dissensions internes, assailli par une rébellion islamiste, le régime d'Amin était proche de l'effondrement. Les soviétiques, ne voulant pas, après la révolution islamique d'Iran d'un nouveau régime islamiste à ses frontières, qui aurait pu faire tâche d'huile sur les républiques soviétiques d'Asie Centrale, se décidèrent à intervenir.

Le 27 décembre 1979, des commandos soviétiques attaquèrent le palais présidentiel d'Amin, le tuant, avec toute sa famille, et désigna comme nouveau secrétaire du PDPA, le parchami Babrak Karmal.

Les occidentaux accueillirent la nouvelle avec une certaine indifférence. L'embargo sur les céréales vers l'URSS, pris par les américains le 4 janvier 1980, fut levé le 27 avril 1981.

 Le 11 janvier 1980, à la télévision française, en direct de Moscou, Georges Marchais, le secrétaire général du PCF annonça que les forces soviétiques étaient intervenues en Afghanistan pour mettre fin au "féodalisme et au droit de cuissage" qui sévissaient dans le pays des Khan ! Dans une intervention au Journal de FR3, il justifia l'invasion soviétique pour contrer une attaque pakistanaise !

La seule rétorsion des USA à l'encontre de l'URSS, fut le boycott des Jeux Olympiques de Moscou, cet été 1980. 

2°) La résistance afghane.
 
a°) Une résistance émiettée.
 
L'invasion soviétique va définitivement délégitimer le régime de Kaboul auprès de la population. La résistance afghane, qui s'était  déjà organisée dès 1975, contre Daoud Khan, se décomposait en de multiples groupes qui recouvraient des différences ethniques et religieuses.
 

  Le Hezb-e Islâmi (Parti islamique) de Gulbuddin Hekmatyar,


(Source: Arte)

qui incarnait une tendance dure de l'islam, visant l'institution d'un Etat islamique fondé sur la charia. Mouvement composé majoritairement de pachtouns et soutenu par l'ISI, les services secrets de l'armée pakistanaise.

Le Hezb connut une scission, en 1979, diligenté par Younos Khales, un docteur de la loi coranique plutôt formé à l'école  Deobandi. Un des chefs du mouvement était Djalâlouddine Haqqani, proche de Ben Laden et qui fut financé par l'Arabie Saoudite.

Le Djamî'at-e Islâmi (Société islamique) de Rabbani, à majorité persanophone, de tendance islamiste modéré, très connu en Occident avec ses deux leaders:
- le commandant Massoud, le Lion du Panshir, un tadjik francophone, 
 

 
qui avait étudié au lycée français de Kaboul.
- Ismail Khan, qui tenait la région d'Hérat.
 
Le Haraqât-e enqelâb-e islâmi (Mouvement de la révolution islamique), de Nabi Mohammedi, un parti religieux traditionaliste, qui va s'affaiblir au profit du Dajmî'at de Rabbani.
 
 Le Djabha-e medjât-e melli (Front de Libération National) de Sebghatoullah Modjadeddi, un membre de la célèbre famille Modjadeddi, des docteurs de la loi islamique très connus, en grande partie massacrée par les communistes en 1978 et 1979.
 
Le Mahaz-e  Melli-e Islâmi (Front National Islamique) de Pir Sayyed Ahmad, parti royaliste pachtoun, regroupé autour d'Abdul Qâder Gaïlâni, fondateur de la confrérie soufie des Qâderîya, au 15eme siècle.

Le Ettehâd-e Islâmi (Alliance islamique) d'Abdul Rasul Sayyaf, un fondamentaliste proche des saoudiens et du wahhabisme.
 
Le Choura-e ettefâq (Conseil de l'unité islamique) de Sayyed Ali Behchti qui regroupait les Hazaras chiites derrière les mollahs, dès 1979.
 
 Le Harakât-e islâmi (Mouvement islamique) de l'ayatollah Mohseni, implanté dans les villes.
Ce qui caractérisait la résistance afghane c'était son émiettement, qui recouvrait des divisions ethniques, tribales et religieuses. Les différents groupes de résistance pouvaient faire des alliances de circonstances, mais ne furent jamais vraiment unis contre l'envahisseur soviétique. Pour Gérard Chaliand, la résistance afghane resta très divisée et rudimentaire, jusqu'en 1984. Seul Massoud avait organisé son mouvement de manière rationnelle et unifiée.
 
b°) Le Bureau de Recrutement d'Abdullah Azzam.
 
Avec l'actualité liée à Ben Laden et à Al-Qaida, la "légion arabe" qui combattit en Afghanistan fut largement surestimée ! Milton Bearden, agent de la CIA, chargé du djihad afghan, estimait entre 20 et 25 000 volontaires arabes passés par l'Afghanistan, avec seulement la moitié d'entre eux qui aurait combattu. Ahmed Rashid, dans L'ombre des talibans, parlait de 35 000 extrémistes musulmans, venant de 43 pays, qui passèrent par l'Afghanistan, de 1982 à 1992.  Milton Bearden parla d'un véritable déplacement idéologique de la gauche vers l'islam et géographique, de la Palestine vers l'Afghanistan, qui attira l'élan djihadiste !
 
La figure la plus connue de cette internationale islamiste, était, non pas Ben Laden, mais Abdullah Azzam.
 

 
Azzam, né en Palestine en 1941, diplômé en jurisprudence islamique à l'université d'Al-Azhar, au début des années 70, fut grandement influencé, pendant son séjour égyptien, par la pensée de Sayyid Qutb, idéologue islamiste radical, affilié aux Frères Musulmans,  qui prônait l'utilisation de la violence contre les gouvernements impies !  Impliqué dans le combat contre Israël, mais scandalisé par l'athéisme des palestiniens, il préféra aller enseigner la jurisprudence islamique en Arabie Saoudite. Lors de l'invasion soviétique de l'Afghanistan, Azzam fonda , en 1984, le Maktab al-Kadhamat (MAK) ou Bureau de recrutement, chargé de former les volontaires étrangers désirant participer au djihad afghan. Il était aussi le rédacteur en chef d'Al-Djihad, un journal en langue arabe qui collationnait les informations sur la guerre contre les soviétiques. Pour lui, le djihad était le 6eme pilier de l'islam et il promettait aux combattants martyrs l'accès au paradis avec 72 vierges pour le repos du guerrier mort !!
 

 
Dans son livre Défendre la terre des musulmans, il écrivait que l'Afghanistan n'était qu'un début, qu'il faudrait continuer le djihad, après la guerre contre les soviétiques, pour que toutes les terres anciennement musulmanes, de la Somalie à l'Andalousie, reviennent, un jour, dans le giron de l'islam ! La pensée d'Azzam se voulait donc internationale et non centrée sur une lutte nationale (ce sera le leitmotiv de Ben Laden, fortement influencé par Azzam), ce qui le différenciait du Dr Al-Zawahiri, obsédé par l'Egypte de Moubarak !
 
Azzam fut tué en 1989, par l'explosion d'une bombe qui lui était destiné. Dans Les routes de la Terreur, documentaire de Fabrizio Calvi, un ancien membre du MAK évoquait la haine tenace que vouait le Dr Al-Zawahiri à Azzam. Al-Zawahiri, chef du djihad islamique égyptien, ennemi des Frères Musulmans accusés de collaborer avec le régime de Moubarak, le président égyptien, aurait réglé ses comptes au chef du MAK, qui lui faisait de l'ombre.
 
c°) Ben Laden et le djihad afghan.
 

 
Ben Laden fut avant tout un financier, qui était missionné par le prince Turki al-Fayçal, chef des services secrets saoudiens, pour financer la résistance afghane, notamment le groupe de Sayyaf, le seul afghan wahhabite, proche des saoudiens et le Bureau de recrutement d'Abdullah Azzam, qui encadrait les islamistes du monde entier en vue du djihad. Il fit construire des hôpitaux au Pakistan, vint en aide aux veuves de guerre,  fit édifier des bunkers sous-terrains et achetait des armes.
En 1984, il passait son temps à Peshawar, au 61, rue Sayyid Jamal al-Din Afghani qu'il appelait Beit al-Ansar.
Ben Laden était alors proche d'Azzam, qu'il finançait, et les volontaires arabes s'instruisaient surtout dans les camps de Sayyaf, à Pabbi, près de Peshawar.
En 1986, Ben Laden fit construire, à Jagi, une base pour son propre usage, nommée la Tanière du Lion.
A la fin de la guerre, en 1989, Ben Laden oeuvra à l'unification des factions afghanes, sans trop de succès, mais avec l'aide de l'argent saoudien, 25 millions de $, il put faire nommer son protégé, Abdul Rasul Sayyaf, comme 1er ministre du nouveau gouvernement afghan. Un mois après, un assaut général fut décrété contre Jalalabad, et c'est à cette occasion, qu'on vit Ben Laden tenir une Kalachnikov dans les mains.
 
Lla CIA ne finança pas  Ben Laden puisque celui-ci recevait déjà beaucoup d'argent du gouvernement saoudien. Les américains, après l'accord avec Zia, se contentait de donner l'argent ou des armes à l'ISI, qui les redistribuait comme bon lui semblait. La CIA, d'ailleurs, ne comprenait goutte aux subtilités des factions afghanes, mettant tous les moudjaihidin dans le même sac, que ce soit des islamistes modérés comme Massoud ou des extrémistes comme Hekmatyar ! Ce fut la première erreur des américains, que de ne pas s'informer sur la destination de l'argent qu'il donnait à l'ISI. Ils suivirent le principe dangereux de "l'ennemi de mon ennemi est mon ami", et du moment que les islamistes tuaient du soviétique, ils n'étaient pas regardant sur l'extrémisme de ces djihadistes !
 
3°) Le financement du Djihad afghan.
 
a°) L'ISI pakistanaise, maître d'oeuvre de la résistance afghane.
 
D'après Jason Burke, dans son livre, Al-Qaida, la véritable histoire de l'islam radical, Edition La Découverte, 2005, le président du Pakistan, le général Zia, avait négocié avec les américains les modalités de l'aide US. Il était prêt à faire de l'Afghanistan un "enfer" pour les russes, mais il ne voulait pas que les américains interviennent sur le terrain, sous-traitant à l'ISI le soin de ventiler l'aide financière américaine à la résistance afghane.
D'ailleurs, seuls les pakistanais pouvaient vraiment comprendre les subtilités des divers mouvements de résistance, mais ces derniers, évidemment, avaient une idée derrière la tête, celle de contrôler une des organisations  qui serait appelée à prendre le pouvoir à Kaboul, après le départ des soviétiques. Les pakistanais ont donc soutenu le Hezb-e Islami, d'Hekmatyar, et ont désigné ce dernier comme le chef de guerre le plus efficace, aux américains. Dans Les routes de la Terreur, un documentaire passé sur Arte, un agent de la CIA se remémorait que l'ISI désignait toujours Hekmatyar comme le meilleur moudjahidin, pour justifier le fait que l'argent américain aille toujours vers le Hezb-e Islami. Milton Bearden, ancien agent de la CIA,  reconnaît désormais que les services pakistanais avaient intoxiqué la CIA, pour imposer le groupe d'Hekmatyar.
 
b°) L'Arabie Saoudite, grand argentier du Djihad afghan.
 
Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les américains qui ont le plus financé le djihad afghan, mais les saoudiens.
A l'époque, c'était l'Iran qui avait le vent en poupe, avec la Révolution islamique de Khomeiny, et, la légitimité des Saoud avait été remise en cause par la prise d'otage dans la Mosquée de la Mecque par les troupes islamistes de Juhayman al-Otaibi, qui préfigurait déjà le benladenisme ! Financer le djihad afghan était une manière, pour les saoudiens, de redorer leur blason et d'être présents dans la bataille contre les soviétiques athées.
D'après Jason Burke, qui cite Hamid Gul, chef de l'ISI de 1987 à 1989,  les saoudiens et les états du Golfe auraient financé les 3/4 du djihad alors que les américains se seraient contentés d'en financer le quart.
Les saoudiens financèrent en priorité le wahhabite Abdul Rasul Sayyaf, alors que les pakistanais soutenaient Hekmatyar. Dans le cadre de cette aide, Ben Laden était un envoyé du régime saoudien, parmi d'autres, pour s'occuper de ventiler les sommes données aux mouvements de résistance afghans.
L'argent saoudien servit aussi à financer des envoyés wahhabites, qui parcoururent le sud de l'Afghanistan pour convertir des commandants locaux au wahhabisme, à l'aide de $. Mais la greffe wahhabite ne prit pas, et ils n'arrivèrent qu'à s'implanter dans la vallée de Kounar, au nord-est de Jalalabad, et dans certaines parties du Nouristan.( source: Le carrefour afghan, page 268).
 
4°) 10 ans de guerre, 1979-1992.
 
a°) La stratégie soviétique du  "rouleau compresseur".
 
Comme dans tous les conflits dits "asymétriques", entre une armée organisée et une guérilla, les soviétiques tenaient les villes et les grands axes routiers, et délaissaient les campagnes et les zones de montagne.
Leur stratégie était primaire, elle était de vider les zones autour des villes-garnisons, le long des grands axes routiers, autour des aéroports.
Les soviétiques disposaient de 150 000 hommes dans le pays, et ne pouvaient guère compter sur la petite armée afghane, peu fiable et minée par les désertions. Lors des offensives, les soviétiques mettaient les soldats afghans en première ligne, ce qui n'encourageait pas ces derniers à rester dans l'armée !
L'état-major de l'armée, à Kaboul, était infiltré par la résistance, qui était donc prévenue des futures offensives soviétiques, informations qui servirent à un Massoud pour résister dans sa vallée du Panshir.
Les soviétiques disposaient environ de 600 appareils de toutes sortes, en 1987, dont 245 hélicoptères d'attaque, nerf de la guerre. (Source: Le carrefour afghan, page 198).
Les Spetznatz, des troupes d'élite, feront d'ailleurs des offensives éclairs, aéroportées, redoutables !
Les offensives soviétiques suivaient une logique immuable. Des convois d'une centaines de transports blindés, des camions encadrés par une cinquantaine de chars, protégés par une vingtaine d'hélicoptères de combat, précédés par des bombardements aériens et d'artillerie. Le rouleau compresseur ravageait tout, villages, maisons, canaux d'irrigation, bétails, champs, arbres fruitiers, et faisait le vide dans une région, autour d'un aéroport ou d'une garnison, entraînant l'exil de la population au Pakistan, près 5 millions de réfugiés, à la fin de la guerre. Les afghans n'avaient rien à perdre et s'engageaient dans la résistance. Très modeste, au début du conflit, divisée, la résistance afghane ne fut guère efficace et se contentait d'embuscade.
L'armée rouge n'a jamais pu réduire la résistance, très organisée, du commandant Massoud, dans sa vallée du Panshir, malgré plusieurs offensives. Pourtant, en 1984, les soviétiques  bombardèrent massivement la région, obligeant les 40 000 habitants a émigré plus au nord, mais ils ne purent venir à bout du "Lion du Panshir".
 
b°) Le tournant de 1985-1986.
 
# L'impossible solution politique.
 
Au niveau juridique, le rapport du juriste autrichien Felix Ermacora, adopté le 13 mars 1985 par la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, fit l'effet d'une bombe. En effet, le document mettait l'accent sur les violations de droits de l'homme par le pouvoir de Kaboul et stigmatisait l'action de l'URSS. Véritable camouflet pour les soviétiques, le rapport légalisait, pour la première fois, les mouvements de résistance. A Moscou, Mikhaïl Gorbatchev, partisan d'une détente avec les USA, négocia avec les américains, et le 7 décembre 1987, il signa avec Ronald Reagan  un Traité sur les forces nucléaires.
 

 (Source: wikipedia)
 
Décidé de sortir du bourbier afghan, il fit pression sur le président Babrak Karmal, pour trouver une solution politique au conflit. Le régime afghan essaya alors d'organiser des assemblées représentatives pour écrire une nouvelle Constitution et fit des appels aux religieux, promus, du jour au lendemain, du statut de "forces rétrogrades de l'obscurantisme" à celui de "vénérable clergé" ! Mais cette nouvelle politique ne trompa personne et le président Karmal dut partir, en 1986, laissant sa place à l'ancien chef du Khâd, les services secrets afghans, le Dr Mohammed Najibullah,
 

(Source: NNDB)
 
 
Najibullah n'était peut-être par la personne idoine pour initier une politique de réconciliation nationale, avec son passé de tortionnaire !  Des contacts furent pris avec l'ancien roi Zaher , avec les pakistanais et avec des forces de la résistance. Des pourparlers se déroulèrent à Genève, sous l'égide des Nations-Unies, et les soviétiques essayèrent de rallier Rabbani, à l'idée de participer à un gouvernement de réconciliation nationale. Mais on ne comblait pas une décennie de répression féroce avec des formules vides. La résistance ne voulut rien entendre et ne désirait que le départ du gouvernement pro-soviétique.
 
# Les Stinger, flèches mortelles pour les hélicoptères soviétiques.
 
Jusqu'alors, les résistants afghans bénéficiaient, surtout depuis 1983, de missiles SAM 6 et SAM 7, de lance-roquettes multiples, comme les BM 13, de fabrication chinoise, mais ces armes ne pesaient guère face aux hélicoptères d'assaut blindés MI 24.
En 1986, alors que Gorbatchev cherchait une issue au conflit, la CIA livra les premiers missiles Stinger à la résistance. Arme anti-aérienne portative, les Stinger vont changer la donne du conflit, puisque le ciel afghan, jadis contrôlé uniquement par les soviétiques, allait se révéler désormais fort dangereux pour les hélicoptères russes.
 

 
C'est le tournant militaire de la guerre sovieto-afghane ! Les Stinger décimèrent près de 300 hélicoptères, rendant le coût de l'occupation prohibitif pour les soviétiques.
 
c°) Le retrait des soviétiques en 1989.
 
Le 8 février 1988, alors que l'URSS étaitt minée par des problèmes intérieurs,  Gorbatchev annonça le retrait prochain des troupes soviétiques.
Le 7 février 1989, le retrait commence et le général Boris Gromov, commandant en chef, quitta l'Afghanistan le 15 février.
L'armée rouge aura perdu 13 853 soldats et 35 000 blessés, un maigre bilan par rapport au millions de civils afghans occis durant le conflit ! (Les chiffres sont variables, quant aux pertes militaires et civiles afghanes, cela va du million, estimation de Dupaigne et Rossignol à 2,5 millions, selon Wikipedia).
 
d°) Retrait soviétique mais aide au régime de Najibullah.
 
Le retrait soviétique n'arrêta pas l'aide au gouvernement communiste de Najibullah, et cette position du Kremlin fut officialisée par le vice-ministre des Affaires étrangères, Youri Voronstov, le 16 mars 1989. Les saoudiens et les américains continuèrent aussi à soutenir la résistance afghane, et les USA vont nommer un représentant auprès des moudjahidin, Peter Tomsen, nomination perçue comme une provocation par les soviétiques et le régime de Najibullah.
 
e°) La bataille de Jalalabad.
 
A partir de mars 1989, les organisations de résistances vont s'unir, aidées par les djihadistes de Ben Laden,  pour attaquer les forces gouvernementales à Jalalabad Pour soutenir le gouvernement, les soviétiques vont organiser un pont aérien vers Kaboul, pour ravitailler les forces du régime, avec notamment la livraison de fusées à moyenne portée,  SCUD-B.
Mais les divisions entre les groupes de résistants afghans, notamment entre  le Hezb-e Islami d'Hekmatyar et le Jamiat-e Islami de Massoud, desservaient la cause de la résistance et lassaient les américains. Jean-François Deniau, ancien ministre français et bon connaisseur de l'Afghanistan, avait écrit, dans ses Mémoires, que le vice-ministre des affaires étrangères soviétiques, Youri Vorontsov, surnommait les 7 chefs de la résistance afghane, "The not so magnificent seven", en référence au film de John Sturges, "The Magnificent seven ", ce qui illustrait bien les tensions entre tous ces seigneurs de la guerre. D'ailleurs, en juillet 1989, des combattants du Jamiat-e Islami, de Massoud, tombèrent dans un embuscade tendue par les forces du Hezb-e Islami d'Hekmatyar, faisant une trentaine de morts.
La bataille de Jalalabad qui dura plusieurs mois, fut un échec cinglant pour les moudjahidin afghans et renforça le pouvoir communiste à Kaboul.
 
f°) Ouverture du régime et désengagement américano-soviétique.
 
Américains et soviétiques, lassés de ce conflit sans fin, décidèrent, les 7 et 8 février 1990, un désarmement généralisé des différentes factions et la constitution d'un gouvernement représentatif.
Najibullah et le Pakistan, acceptèrent un plan de paix des Nations Unies, en mai 1990, pour régler le conflit afghan, plan qui divisait profondément la résistance.
Il faut dire que Najibullah n'a plus vraiment le choix. Lâché par ses mentors soviétiques, au prise avec une opposition interne qui s'est traduite par une tentative de  coup d'état, en mars 1990, le régime de Kaboul en était réduit à faire des appels du pied à l'ancien monarque, Zaer Shah, pour trouver une solution politique au conflit.
Le 27 juin 1990, lors de l'ouverture du congrès du PDPA, Najibullah avoua qu'il était nécessaire de dialoguer avec l'opposition pour résoudre le conflit afghan. Les congressistes votèrent+ le changement e nom du Parti, qui s'appellera désormais le Watan ou Parti de la Patrie, changement de nom révélateur.
 
g°) Guerre du Golfe et disparition de l'URSS.
 
La situation internationale avec la première guerre du Golfe, début 1991 et la disparition de l'URSS, cette même année, allait être fatale au régime de Kaboul. Le conflit afghan n'est plus une priorité pour les deux grands et va devenir une guerre oubliée, comme l'écrivit Augustin Jacques, dans un article du Monde du 15 février 1991.
Après l'accord entre les américains et les soviétiques de septembre 1991 sur la fin des livraisons d'armes aux belligérants, des discussions eurent lieu à Moscou avec les leaders de la résistance afghane, en novembre 1991, les soviétiques acceptant même le principe d'un gouvernement islamique. Le mois suivant, l'URSS n'existera plus !
 
h°) La fin du régime communiste à Kaboul.
 
L'effondrement de l'URSS enlevait le dernier allié au régime communiste. Najibullah offrit alors un cessez-le-feu immédiat et l'ouverture de négociations avec l'opposition islamique.
Le 18 avril 1992, le président Najibullah est remplacé, à la tête de l'état par le général Abdul Rahim Hatif qui se dit disposer à remettre le pouvoir aux islamistes. Le 28 avril 1992, c'est la fin officielle du régime communiste puisque Hatif remit tous les pouvoirs au chef du gouvernement provisoire, Sibgatullah Modjaddedi. Dès sa prise de pouvoir à Kaboul, les troupes du nouveau président affrontaient déjà les djihadistes du Hezb-e Islami, de Gulbudin Hekmatyar, inaugurant une guerre civile qui allait durer jusqu'à l'intervention américaine, en 2001.
 
i°) Les conséquences du départ des soviétiques et des américains.
 
Dès 1991, la chute de l'URSS et le désengagement américain, vont précipiter l'Afghanistan dans le chaos des seigneurs de la guerre. Le pays était détruit, 5 millions de réfugiés s'étaient installés au Pakistan, près de Peshawar, masse déracinée qui serait la proie du prosélytisme taliban. La communauté internationale est restée indifférente au sort de ce pays, laissant se développer une guerre civile qui allait accoucher d'un monstre ...les talibans, groupe fondamentaliste qui accueillera les troupes djihadistes d'Oussama Ben Laden.
 
6°) La guerre soviéto-afghane et la France.
 
a°) Une guerre méconnue.
 
De part sa position géographique, enclavée dans un hinterland montagnard, sans accès à la mer, l'Afghanistan était un pays difficilement accessible, ne possédant que peu d'infrastructures de transports.
Le contexte de guerre froide entre les USA et l'URSS, rendait périlleux, pour les journalistes, de s'aventurer dans ce pays.
Région méconnue, le conflit afghan n'a guère passionné les foules occidentales ! Amnesty International, par exemple, n'envoya jamais un enquêteur sur le terrain, durant toute la guerre et ce n'est qu'en 1987, qu'elle lança une campagne contre la torture en Afghanistan. Pourtant, des envoyés d'associations humanitaires, comme Juliette Fournot, avaient rapporté de terribles témoignages quant aux exactions des soviétiques sur les populations civiles, mais il n'y avait pas d'images et personne ne les croyait !
 
b°)  Un conflit peu médiatisé.
 
Christophe de Ponfilly de l'agence Interscoop, se passionna rapidement pour le combat du peuple afghan, et fut un des rares journalistes à partir sur le terrain, vivre avec les Moudjahidin, pour filmer la guerre,
 

 
avec son compère, Jérôme Bony d'Antenne 2, jeune reporter découvert dans l'émission La course autour du monde, à la fin des années 70, et qui nous donnèrent les premières images sur le conflit afghan, dans la vallée du Panshir, dès 1982.
Jacques Abouchar, journaliste français, fut capturé par les soviétiques, le 17 septembre 1984, alors qu'il rentrait, clandestinement, en Afghanistan. Il fut condamné à 18 ans de prison par les autorités afghanes, avant d'être libéré le mois suivant.
Il y eut aussi le drame qui frappa Mohammed Chah Bazgar, auteur de Afghanistan, la résistance au coeur, (Laffont, 1987), invité d'Anne Sinclair ou de Bernard Pivot, et qui sera assassiné dans la région de Kandahar, par des miliciens communistes.
Il y aura l'association AFRANE, créée en 1980, oeuvrant pour l'amitié franco-afghane, et qui perdit un de ses sociétaires, Thierry Niquet, assassiné dans la région de Balkh, en 1986.
Si le francophone commandant Massoud fut le héros de la guerre pour les français, le conflit fut assez peu filmé, à cause de la dangerosité de l'entreprise.
Personnellement, je me rappelle de reportages sur l'Afghanistan, dans les années 80, où on ne parlait jamais de mouvements islamistes ou des "afghans arabes" ou encore d'un Ben Laden ! Mais comme la télévision française filmait la guerre sovieto-afghane par le prisme du commandant Massoud, dans le Panshir, un islamiste modéré,  et que celui-ci n'avait pas de rapport avec l'internationale islamiste radicale dirigée par Abdullah Azzam, cette réalité a certainement échappé aux français et à beaucoup de monde.
 

 

 
 


05/05/2013
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